VOIX CRITIQUES
Le Néolibéralisme contre Freud
Que se passe-t-il actuellement en France et dans le monde pour que des milliers de professionnels du soin psychique se mettent en grève de la faim, défilent ou pétitionnent afin d’alerter les gouvernements, les décideurs institutionnels ?
Ce malaise est présent depuis des années, sans cesse dénoncé par celles et ceux en charge de recevoir dans les lieux de soins les patients et leurs familles. L’orientation déclarée scientifique de la prise en charge des maladies mentales prise par beaucoup de nos gouvernants réclame toujours plus de sciences exactes, gages pour eux de la justesse de l’approche du mal être humain qui vient là à s’exprimer.
Posons d’emblée l’aporie dans laquelle nous sommes arrivés aujourd’hui : là où l’orientation dite scientifique veut aller se fonde sur un paradigme qui veut que la seule science biologique a les moyens de connaître la vérité des symptômes que présente chaque patient souffrant indépendamment de son histoire, uniquement par les investigations biologiques et à l’aide de l’imagerie médicale telle que scanner, IRM etc.
Cette approche repose sur le principe établi à la fin du 19 siècle, début du 20e qui est le suivant : un symptôme renvoie à une ou des causes organiques à découvrir. En somme, nous voilà revenus à ce que Claude Bernard énonçait : Le corps biologique recèle la vérité des symptômes, sa quête coûtera ce qu’elle coûtera mais elle sera immanquablement trouvée. C’est dans cette voie que se sont engouffrés depuis une quinzaine d’années (damnées aussi) toutes les économies de la santé de la maladie mentale, du malaise psychique en général, voie très lucrative pour Big pharma mais aussi voie très coûteuse pour les économies des Etats soutenant cette approche.
A ce jour les recherches pour découvrir les causes organiques des maladies mentales s’avèrent toutes très décevantes. A l’image de notre société néolibérale, la pensée biologisante triomphante et la pensée neurodéveloppementale non moins triomphante n’entendent pas tenir compte de leurs échecs. Elles préfèrent persister dans cette voie laissant planer l’idée d’une victoire prochaine afin de guider les investissements colossaux qui alimentent ce moteur à illusion scientiste et, de plus, aisé à comprendre par l’ensemble des acteurs que sont les familles mises à contribution, les gouvernements libéraux et bien entendu les investisseurs boursiers.
Aujourd’hui, l’approche psychodynamique des symptômes psychiques qu’a inauguré S. Freud en inventant la psychanalyse a été délibérément écartée, reléguée à une place subalterne suppléant les ratés de la pensée TND (Trouble Neuro Développemental) certains songeant même à son éradication des lieux de soins. La pensée freudienne place au cœur de l’humain le manque radical, la fêlure et le « jamais plus » de l’objet perdu. En somme le paradis perdu.
La société néo libérale se fonde sur la plénitude et les désirs rassasiés. A voir notre monde et son évolution actuelle, il semble que S.Freud avait raison : la vérité du sujet est dans son manque d’où peut surgir sa détermination et ses engagements à venir.
Emile Rafowicz