Le Naufrage de la Psychiatrie Humaniste

Comment la psychiatrie française est passée d’une psychiatrie humaniste à une psychiatrie fondée sur la biologie et l’abolition décrétée de la maladie mentale au profit d’une intégration sans distinction dans la société capitaliste productiviste.

Comment la psychiatrie française est passée d’une psychiatrie humaniste élaborée après la guerre par des psychiatres résistants confrontés aux horreurs de la seconde guerre mondiale qui ont mis en place un système de soins fondé sur la relation psychosociale et psychothérapique à une psychiatrie fondée sur la biologie et l’abolition décrétée de la maladie mentale au profit d’une intégration sans distinction dans la société capitaliste productiviste.

Sans vouloir faire une histoire de la psychiatrie française depuis ses origines et pour comprendre le naufrage actuel de la psychiatrie, il faut au moins rappeler ce qui s’est passé durant les cinquante dernières années. En effet, c’est dans le cadre de la réforme des universités portée par le ministre Edgar Faure que paraît au journal officiel l’annonce de la création de deux CES (Certificat d’Etude Spéciale) l’un en neurologie l’autre en psychiatrie le 30 décembre 1968. L’ancien CES de neuropsychiatrie est ainsi remplacé. La distinction neurologie et psychiatrie est actée. A partir de cette date, des concours d’internat spécifique à la psychiatrie seront mis en place dans toute la France.

Bien avant les futures psychiatres, les infirmiers psychiatriques ont eu droit à une reconnaissance de leur spécialité grâce à l’arrêté du 23 juillet 1955 ouvrant à une formation particulière en 2 ans. Mais c’est le 12 mai 1969 qu’est entériné le titre « d’infirmier de secteur psychiatrique ».

En France, la politique de soin en psychiatrie inspirée par les grandes noms de l’après-guerre (Dr Lucien Bonnafé, Dr Jean Oury, Dr Daumézon) avait opté dès mars 1960 par une circulaire du ministère de la santé pour une politique dite de secteur, ayant pour buts de « rapprocher l’exercice de soin du lieu de domicile et le soignant du patient”.

D’autre part, dès l’après-guerre, le courant analytique inspirera beaucoup des cohortes de nouveaux psychiatres formés sur les divans des différentes écoles psychanalytiques et qui appliqueront les connaissances de l’appareil psychique léguées par Sigmund Freud et consorts aux traitements des malades mentaux hospitalisés ou suivis sur le secteur.

L’abord de la souffrance humaine au moyen des acquis de la psychanalyse que venait épauler les médicaments psychotropes ayant pour mission de réduire l’angoisse, l’insomnie apparus en 1952, cette psychiatrie fondée sur la relation stabilisée entre soignants et soignés aura été une des grandes avancées dans l’accueil des maladies mentales mettant au cœur de ses actions le sujet humain dans sa sensibilité et son discours singulier.

Mais venant des Etats Unis, une autre façon de classifier les maladies mentales se mit en place bouleversant les classifications d’alors. Le DSM 1(Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), publié en 1952, établira 60 diagnostics dans un but de simplification des relations entre spécialistes et ayant aussi sa justification dans l’indemnisation des soldats à des fins d’allocation assurantielles.

Les symptômes et leurs spécificités pour telle ou telle maladie étaient, par le biais de cette nouvelle classification, supplantés par la notion de trouble, annulant par là même l’histoire de ces maux dont souffraient les patients, privilégiant ainsi les comportements des individus, laissant de côté la signification inconsciente qu’ont nombres de ces symptômes que produit le sujet en question. La notion même d’inconscient fut bannie de cette nouvelle manière de classer les maladies mentales

Depuis, le DSM en est à sa version V et les tenants de cette psychiatrie comportementale, appuyés par les laboratoires pharmacologiques avec le renfort des neurosciences agissent pour que soit admis le fait que ces maladies mentales ont pour seule origine un désordre du cerveau qu’il leur faudra repérer grâce aux innovations technologiques, notamment en matière d’imagerie médicale.

A ce jour, cette hypothèse de travail qui entraîne des flux financiers considérables n’a pas encore prouvé sa pertinence au grand damne des fonds de pensions à la recherche des prochaines cornes d’abondance.

Une réforme de l’internat datant de 1982 mis fin à l’expérience en ramenant la formation et la qualification des psychiatres dans le giron du concours de l’internat en redonnant le monopole de fait aux universités sur ces questions de formation.

Non seulement la réforme a brutalement mis un terme au flot de ceux qui escomptaient une formation psychodynamique dans l’étude des maladies mentales mais elle a favorisé l’émergence d’une génération de psychiatres beaucoup plus sensibles au paradigme biologique.

De même, c’est en 1992 que fut supprimée la formation spécifique des infirmiers brisant le lien “organique” qui liait la profession psychiatrique avec le secteur, politique fondée sur l’idée du citoyen/patient dans la cité et ses relations avec la communauté de territoire à laquelle il appartient, ici et maintenant.

Aujourd’hui, la subjectivité du patient est niée. Son histoire psychoaffective est sans valeur au regard de ses données biologiques ainsi que les examens répétés de son cerveau à la recherche d’un dysfonctionnement du dit organe postulé a priori.

Le naufrage de la psychiatrie, qu’elle s’intéresse à l’adulte ou à l’enfant, vient pour beaucoup de ce mouvement technico biologique qui pense, avec J.P Changeux, neurobiologiste, ancien professeur au collège de France de 1975 à 2006, que l’homme est un être avant tout neuronal comme l’écrira cet auteur qui tenta de résumer sa pensée dans son livre publié en 1983: « L’homme neuronal » publié chez Fayard.

Les derniers résultats des sciences biologiques et psychiatriques laissent penser que les hypothèses de départ supposant que le psychisme de l’humain est régi par les seules lois de la biologie sont très peu validées par les résultats aujourd’hui en notre possession.

L ’existence humaine porte la marque de la tragédie davantage que de la biologie. Les sciences humaines, et parmi celles-ci la psychanalyse, nous le confirment chaque jour.

Le naufrage a, semble-t-il, changé de camp.

L’homme n’est pas neuronal, son existence s’écoute, s’entend dans ce qu’il dit à qui veut bien lui tendre l’oreille. Son drame et ses expériences de vie ne se verront jamais à l’image, sauf dans les films.

L’homme, l’être parlant par excellence, est blessé par ces thuriféraires de la biologie cérébrale, mais il n’est pas mort ,voilà la bonne nouvelle qu’il faut colporter et faire vivre .

Emile RAFOWICZ

Verified by MonsterInsights