VOIX CRITIQUES
Chômage : Foire aux Inégalités !
On vous l’a dit et redit, après cette année impensable, inouïe, le monde d’après Covid-19 ne sera pas comme celui d’avant. Tiens donc ?! Notre modèle de société va-t-il changer ? Allons-nous repenser en profondeur notre lien social ? Tiendrons nous compte de toutes ces failles mises à jour par cette pandémie dans les fonctionnements de la santé, l’éducation, la culture, la justice, la lutte contre les changements climatiques, etc., pour envisager des choix politiques et économiques plus justes, plus équitables, moins anxiogènes. A part l’étonnante nouvelle du premier café en terrasse depuis un an, pas d’annonces d’un profond bouleversement. Même plutôt, le retour de p’tites rengaines déjà entendues !
Une preuve ?!? La réforme de l’Assurance Chômage
Bien cachée par les temps incertains qui courent pour l’emploi, la réforme de l’assurance chômage, initiée en novembre 2019, semble être restée tapie, loin des curiosités médiatiques aux heures de grande écoute, et s’apprête à faire son retour, contre l’avis des syndicats, au 1er juillet prochain.
Les premières dispositions de cette réforme ont été mises en place en novembre 2019. Face à l’épidémie de Covid-19 et à ses conséquences sur l’emploi, l’application de la réforme a été repoussée à trois reprises. Donc, pendant qu’arrivait le monde d’après celui d’avant continuait de tracer son chemin obstinément.
Une Réforme pour quoi faire ?
Pour juguler le déficit de l’assurance chômage argumente le gouvernement !
Petite parenthèse, rappelons que L’Assurance Chômage finance Pôle Emploi. Une lourde charge ! Pôle Emploi, service public, que devrait assumer les impôts des habitants de France, et non par les cotisations sociales versées par les seuls travailleurs et travailleuses. C’est dit !
Si l’on suit le raisonnement de notre gouvernement, les hommes et femmes privés d’emploi coûteraient trop cher à notre société. Faire des économies (fixées initialement entre 1 et 1,3 milliard d’euros) en durcissant les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi et par ricochet faire supporter aux plus fragiles le coût de la crise, c‘est la solution qu’il préconise
Avec ce nouveau calcul, l’Unedic constate en prenant divers exemples de personnes ayant des contrats fractionnés que ces mesures auront pour effet “de verser moins d’allocations journalières à un salarié qui reprend une activité à cheval sur deux mois qu’au salarié ayant repris une activité d’une même durée au cours d’un seul et même mois civil”.
La CGT rappelle que la baisse des allocations induite par la réforme touchera en particulier “les saisonniers, extra-hôteliers, guides conférenciers, intérimaires, travailleurs précaires du privé ou du public etc., déjà durement touchés par la crise.”
Si l’on comprend bien, une réforme qui mènera des femmes et des hommes déjà en situation de fragilité vers une plus grande précarité. Sans compter l’impasse dans laquelle vont se trouver tous ces jeunes qui n’ont souvent que ces filières pour démarrer leur vie professionnelle.
Souvenons-nous de la phrase de Muriel Pénicaud, ancienne Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social (2017–2020), en avril 2019 “C’est une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage et pour la précarité”. Oups, un lapsus ?!
Un lapsus si vrai que le Conseil d’État a suivi la CGT et notait en novembre 2020 que ce calcul opérait ” une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi”. La haute juridiction administrative avait retoqué les modalités de calcul du Salaire Journalier de Référence (SJR), qui sert à calculer l’allocation de chômage, et censurait la réforme Pénicaud au nom de la “violation du principe d’égalité”.
Si ces mesures ont été aménagées ou suspendues le temps de la crise, elles ne sont pas abandonnées. Voici celles prévues par le décret du 30 mars 2021 et applicables au 1er juillet 2021 :
- un nouveau calcul du salaire journalier de référence
- une dégressivité de l’allocation versée par Pôle emploi à partir du 9e mois d’indemnisation pour les cadres.
- la durée minimale d’affiliation maintenue à 4 mois pour l’ouverture de droits
Si la situation économique s’améliore en octobre, deux de ces mesures seront durcies :
- une dégressivité de l’allocation versée par Pôle emploi dès le 7e mois d’indemnisation
- la durée minimale d’affiliation remontée à 6 mois pour l’ouverture de droits
Pour ne pas commettre d’erreur et ne pas vous engager sur de mauvaises pistes avec des explications imparfaites, je vous laisse aborder l’analyse de cette réforme avec le document de travail de Mathieu GREGOIRE et de Jérôme DEYRIS de l’Université de Paris Nanterre et de Claire VIVES du CNAM que vous pouvez trouver et télécharger sous le lien ci-après :
Ils y étudient, entre autres, les situations de deux personnes ayant travaillé le même nombre de jours sur une même période pour un même salaire mais avec des épisodes de chômage différents. La démonstration est édifiante.
Il est bien clair, a priori, que rien ne devrait se faire d’ici début juillet, or à Pôle Emploi ça frémit depuis quelques mois. Le gouvernement a demandé à ses agents de sortir les fichiers des personnes qu’on sait être en carrière à Contrat à Durée Déterminée (CDD), en intérim, en contrat court (extra dans la restauration, par exemple), de les faire convoquer par l’intermédiaire de prestataires de services.
Oui, Pôle Emploi externalise les interventions auprès du public ! Ces convocations sont faites d’après un listing informatique auprès de gens qui sont souvent des travailleurs à temps partiels ou en horaires décalés dont le dilemme est : répondre à cette convocation ou aller travailler ? Evidemment, le choix est clair, c’est du salaire dont on a besoin pour manger ! Au bout de deux rendez-vous qui ne sont pas honorés, c’est une radiation pure et simple.
Faut-il faire de la place aux 2,8 millions de personnes qui ouvriront un droit à l’allocationchômage, estimation de l’Unedic, entre juillet 2021 et juin 2022 ? La colère m’égare !!!!
En résumé, pour tenter de vivre avec un minimum de dignité, vous travaillez dans des conditions incertaines et c’est vous qui pourriez être exclu du nouveau dispositif !
Colère, désespérance, effondrement, qui se soucie de ces situations kafkaïennes ?!? Les syndicats… qui viennent de déposer un nouveau recours devant le Conseil d’État ; un collectif d’universitaires et de la société civile qui ont publié une tribune dans le journal Libération.
C’est à peu près tout !
Certes, on parle ici d’un petit nombre de gens dont les voix sont inaudibles. Seuls, ils n’ébranleront pas les convictions des conseillers, économistes, universitaires, fonctionnaires, à l’emploi souvent garanti à vie, qui sont à la manœuvre.
Avant ou après pandémie, notre enclos est le même, coincé entre rigueur budgétaire et protection des actionnaires financiers ! Alors, quel prix ont ces femmes et ces hommes qui n’ont plus d’utilité pour le marché ?!?
Comme le suggère sur France Culture l’économiste Gaël Giraud :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/gael-giraud-et-les-economies-a-venir ,
Ne suivons pas “ces élites convaincues d’une dette fondamentale à rembourser pour avoir le droit d’exister et d’être en relation avec les autres ; cette dette, eux n’ont aucune intention de la payer donc, vont la faire payer aux pauvres !”
Oui, probable, cette contribution à alerter sur cette réforme inique est simpliste mais qu’importe ! Ça ne vous exaspère pas vous, de voir se profiler des injustices grosses comme un éléphant dans un magasin de porcelaine et que rien ne bouge ?
Heureusement, il nous reste une force qui nous rappelle à notre humanité, l’indignation ! l’obligation de penser qu’un autre rapport au monde et à la société est possible est urgente !
Voix Critiques s’essaie à en prendre conscience et cherche toutes les pistes pour poser les premières pierres d’une autre fondation.
Véronique Barnet et Jean-Luc Canu