Le Dézemmour Nous Guette

Un Zemmour est le genre de personnage que vous aviez coutume de rencontrer dans les cafés, assis généralement au comptoir et ne cessant pas, du matin au soir jusqu’à la fermeture, d’asséner des “vérités”, croit-il, qui sentent le terroir, souvent rancunier, affirmant haut et fort sa fierté d’être français contrairement aux autres, à ceux à qui l’on pense mais qu’on hésite à nommer (de moins en moins reconnaissons-le). D’ailleurs, cette absence de nomination est souvent un effet entretenu qui a pour but de marquer une présence étrangère inquiétante, d’autant plus inquiétante qu’elle se signale par cette référence QUI ne veut pas dire son nom mais qui agirait en sous-main. La thèse complotiste en est une expression parmi d’autres. Ce Zemmour n’est pas nouveau. Il fait partie des meubles du sentiment nationaliste, de sa panoplie.

De fait, plus l’identité nationale, c’est à dire plus le lien communautaire qui lie chaque membre de cette communauté à d’autres par le biais d’une histoire commune, distinctive qui nous différencie de l’autre, plus elle vit sa fragilité et plus la recherche de cette identité en perte de repères doit s’appuyer sur UN qui n’en est pas, de cette communauté, qu’il faut rejeter, qui la met en danger à force de faire entendre sa différence même. Réflexe paranoïaque s’il en est. L’UNITE est en péril. Ce constat est stable depuis que “les bistrots” existent, c’est à dire depuis que l’Histoire existe.

Mais aujourd’hui, ce qui est nouveau (en dehors des périodes de guerre bien entendu) c’est que le Zemmour est de sortie. Il va dans la rue, s’invite sur les plateaux télés à leur demande. Il pense que ses thèses vont enfin être prises au sérieux. La période est propice, semble-t-il dire. Comment en est-on arrivé là ? L’hypothèse qu’il faut peut-être avancer   pourrait être celle- ci: la dépolitisation galopante, la dialectique des oppositions de classes qui est niée afin de mettre en avant l’intérêt de sa communauté conçue dans une autonome de façade, l’effondrement des corps intermédiaires (’syndicats, partis politiques ,le mouvement associatif), tout cela permet que les idéologies les plus mortifères puissent apparaître en tant qu’‟opinion” comme les autres opinions”, soulignant ainsi  une inquiétante affection pour la position alzheimerienne de nos contemporains. Les thèses révisionnistes qui consistent entre autres à réhabiliter le maréchal Pétain décrit comme le bouclier qui a protégé la communauté juive contre les nazis, bien qu’unanimement combattue par l’ensemble des historiens sérieux de cette période, ces thèses sont à nouveau recyclées. Le fameux “effacer l’historique” bien connu de la culture fondée sur l’ordinateur marche à plein tube. Une des raisons du malaise dans notre civilisation vient de ce difficile travail psychique que tout à chacun doit mener sur lui-même afin entraver la haine première que suscite l’Autre, l’étranger, le différent de moi, celui qui me met en difficulté face à mes certitudes. Car elle est là, cette haine, d’origine.

Le Zemmour ambiant excelle à attiser cette haine, pour conforter le bloc identitaire autour de l’ancêtre glorieux, du moins sa face obscure, ce Dieu obscur qui réclame des sacrifices pour soi-disant l’honorer. C’est à croire que les pères veulent endormir les fils pour mieux les préparer à ce sacrifice suprême, confer le nazisme. Abraham, réveilles toi, ton fils Isaac est sur le point d’y passer, le Dieu Argent (Idolâtre)ne retiendra pas ton bras cette fois-ci, bien au contraire, il le veut, ce sacrifice, et c’est cela qui est le plus inquiétant. Nommer le péril permet d’y répliquer, du moins de s’y préparer. Pour mieux s’organiser.

Emile RAFOWICZ